Montagnes d´Hommes
[Épuisé]

Extrait

Savoir qu´au cœur d´une modernité froide et rigide comme la mort, des bergères et des bergers authentiques et d´exception exercent encore proche de l´esprit initial le métier de pasteur, donne joie, gratitude, ainsi que l´espoir de voir réhabiliter un art qui aujourd´hui manque à notre évolution et dont nous sommes plus nombreux qu´il n´y parait à avoir nostalgie et aspiration.

Pierre Rabhi, préface

Elles, ils, sont remarquables de par leurs gestes quotidiens, de par leur volonté, de par leur approche de la vie, leur profond respect de la nature et de son intelligence. L´envie était aussi d´attirer nos regards vers cet équilibre qu´ils incarnent, cette réelle écologie dans l´exercice d´une profession rentable et digne. II nous revient à tous d´agir, de consommer, de manière à garder viable ce métier noble, ces pans de montagnes, ce pan de notre patrimoine vivant. Les premières graines de ces réflexions viennent de mes jeunes années dans les Pyrénées... puis lentement les graines ont germé dans un environnent tantôt citadin, tantôt campagnard. L´envie de faire le documentaire Dessine-moi un berger en Savoie et Haute-Savoie est un pas que j´ai franchi avec le réalisateur Simon Shandor. La rencontre avec ce passionné de la vie, ce boulimique de l´image et de nouveaux horizons était un vrai cadeau... Il avait l´expérience, un grand sens de la poésie et moi, de l´envie plein les poches. Après ce documentaire, un livre s´est assez vite imposé ; à l´image de ce que le sujet traité mettait en lumière : la « transmission », la permanence dans le temps. Il semblait juste d´ouvrir un territoire aux frontières accessibles en permanence, à l´image de ce qu´est pour moi un livre une passerelle d´images et de mots vers un ailleurs authentique. Un territoire où avec mes mots, je pouvais dessiner les reliefs intérieurs que la montagne m´inspire. Un territoire où Ève partagerait ces instants captés dans l´intimité des bergers, dans l´intimité de la montagne.

Un livre c´est un objet que l´on peut parcourir assis dans un avion ou à la toute simple lumière d´une bougie dans un refuge en pierre. Un livre peut voyager de mains en mains, passer d´alpage en alpage, d´une génération à une autre. Si ces images, ces réflexions pouvaient inviter à un autre regard sur nos vies, sur les montagnes quelles qu´elles soient, si elles pouvaient inviter au silence dans le tumulte de nos vies citadines, alors ces pages seraient bien nées. L´un de mes plus marquants souvenirs audio-visuels date de mon adolescence. C´était un documentaire sur un professeur de lettres qui avait choisi de devenir garde forestier. Ce documentaire était lent, sans artifice, sans aucun effet... juste un homme qui à 4 h se levait avec conviction et, dans le silence d´une maisonnée endormie, prenait son café seul et partait nourrir les bêtes. C´est la force qui peut pousser un homme, une femme à remonter le courant, à entreprendre des tâches rudes dans son plus libre choix qui m´a toujours fascinée... cette petite chose à l´intérieur que rien n´éteint. J´aimerais que ce livre, à sa manière, puisse également montrer que d´autres vies sont possibles, d´autres valeurs aussi. Il faut du fer pour tailler le bois, du diamant pour tailler le verre niais étonnamment ce sont les mots les plus doux qui peuvent tailler au mieux les âmes. Je voudrais ce livre comme un petit outil simple, doux niais au manche travaillé... à la manière peut-être du petit couteau du berger qui libère parfois des entraves.

Bergers passeurs

Un berger passe des animaux d´une montagne à l´autre, oui; mais son rôle de passeur va bien au-delà. Un berger passe avant tout un patrimoine à travers les âges; un savoir faire qui a nourri une humanité depuis l´aube des temps. Un berger passe l´amour de la montagne à tout ce qui est disposé à ressentir les choses. Il faut voir le regard d´un enfant à qui la chance est donnée de suivre les pas du berger, de la bergère. Mieux que personne, les enfants perçoivent l´authenticité du vécu, la force assise dans chaque geste, la brûlante interaction permanente avec les animaux... La vie, la vie, la vie du matin au soir, les mains dans les pelages, les gouttes de lait sur les cuisses, le bruit des cloches, la course des chiens, le lapin qui ne se laisse plus attraper, le chat impatient de la traite, le chevreau derrière le fourneau, les chiots joueurs dans la bergerie, les marmottes au loin, le chant du berger qui trait... La vie, la vie, la vie.

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