#Roux

Extrait

La rousseur, loin du détail anecdotique, s’insinue en effet sous la plume des écrivains, chargée du préjugé immémorial qui lui colle à la peau. Couleur emblématique d’une différence, tantôt infamante, tantôt élective, elle singularise l’individu et le dépersonnalise. Comme si l’onomastique s’effaçait derrière le chromatisme, la désignation identitaire passe inéluctablement par la couleur. Poil de Carotte a, en quelque sorte, fait disparaître François Lepic, le personnage emblématique de Jules Renard : le sobriquet remplace définitivement prénom et patronyme.

____________

Pour les croyances traditionnelles de la vieille France telles qu’elles se lisent dans les proverbes colligés par Françoise Loux et Philippe Richard, les roux sont censés avoir été conçus pendant les règles de leur mère. Ce sont des enfants de la transgression, faits dans le sang, même si la rupture d’interdit vient de leur mère et de leur père. Ils doivent à ces circonstances une exacerbation de virilité, on leur attribue un caractère violent, méchant, hypocrite, intenable. Les physiognomonistes redoublent cette image négative : « Ceux qui ont les cheveux rouges sont ordinairement envieux, vaniteux, fallacieux, superbes et méprisants ». Le roux est un personnage de l’excès, il est ambigu : conçu dans le sang et présumé avide de sang, viril mais simultanément féminin car menstrué lui-même, il est parfois mis en lien avec une autre figure indécidable : la femme à barbe. « Des cheveux roux, des femmes barbues, sauve-toi à la course », dit un proverbe. La rousseur fait de l’homme ou de la femme un être piégé dans la liminarité, dans un entre-deux, sans possibilité d’y échapper car leur apparence saute aux yeux.

____________

Baudelaire n’était-il pas lui également inspiré par des muses à la « chevelure ardente » ? Il dédia en tout cas une ode des Fleurs du Mal « à une mendiante rousse » qu’il décrivit de la manière suivante :

Blanche fille aux cheveux roux,
Dont la robe par ses trous
Laisse voir la pauvreté
Et la beauté.

Pour moi, poète chétif,
Ton jeune corps maladif
Plein de taches de rousseur
À sa douceur.

Feuilletez un extrait du livre au format PDF en cliquant ici